Dans le Flou, une autre vision de l’art de 1945 à nos jours. 
Commissariat : Claire Bernardi, Emilia Philippot, Juliette Degennes. 
Musée de l’Orangerie, Paris : 30 avril 2025 – 18 août 2025 
CaixaForum Madrid : 18 septembre 2025 – 5 avril 2026 
CaixaForum Barcelona : 12 mai 2026 – 27 septembre 2026

Auteur du texte "Extravagance du monde, folie du réel" dans le livre de l'exposition.
Antoine d’Agata · Dove Allouche · Maarten Baas · Francis Bacon · Léa Belooussovitch · Christian Boltanski · Miriam Cahn · Julia Margaret Cameron · Mircea Cantor · Eugène Carrière · Claire Chesnier · Philippe Cognée · Nicolas Delprat · Vincent Dulom · Bracha L. Ettinger · Wojciech Fangor · Alberto Giacometti · Nan Goldin · Hervé Guibert · Hans Haacke · Joana Hadjithomas · Hans Hartung · Frères Henry · Alfredo Jaar · Khalil Joreige · Y.Z. Kami · Kikuji Kawada · Yves Klein · Bertrand Lavier · Thomas Lélu · Collection Sébastien Lifschitz · Albert Londe · Clémence Mauger · Claude Monet · Tania Mouraud · Edvard Munch · Óscar Muñoz · Zoran Mušič · Mame-Diarra Niang · Eva Nielsen · Albert Oehlen · Claudio Parmiggiani · Estefanía Peñafiel Loaiza · Otto Piene · Sigmar Polke · Krzysztof Pruszkowski · Odilon Redon · Gerhard Richter · Pipilotti Rist · Auguste Rodin · Ugo Rondinone · Medardo Rosso · Mark Rothko · Thomas Ruff Georges Seurat · Edward Steichen · Christer Strömholm · Hiroshi Sugimoto · Laure Tiberghien · Daniel Turner · Joseph Mallord William Turner · Luc Tuymans · Bill Viola
Souvenez-vous d’une aube, de la célérité des formations chromatiques insaisissables, du mouvement sans mouvement de toute chose quand le soleil entame à peine le ciel, de la confusion écarquillée des espaces, de la palpitation lente des profondeurs de champ, des membranes climatiques douces et des secondes qui bientôt déglacent la nuit dans le jour. 
Souvenez-vous d’un crépuscule, des paliers de nuit tuilés les uns les autres comme des feuilles translucides de calques opalescents, des visages inenvisageables, des formes nimbées d’une brume ombreuse, du monde troublé comme un cristallin myope. 
Souvenez-vous d’une levée de lumière océanique lorsque se désagrègent les trames de nuages chargés de l’eau évaporée des marées, de l’impossible limite de la mer et du ciel, de l’existence illusoire de l’horizon, du rivage hypermétrope de ses écumes vagues, des étendues prétendument nettes cornées sur vos pupilles. 
Rappelez-vous un souvenir d’enfance, souvenir de souvenir rincé au flou par le doute de ne l’avoir pas vécu comme vous vous en souvenez, d’avoir été floué par une photographie vue dans un album, par un récit familial ayant tracé à votre insu les contours troubles du souvenir d’un autre, inoculé en vous comme un souvenir de vous, en bégaiement troublé de vous. 
Rappelez-vous une peinture que vous pensiez connaître – la Joconde vue cent fois au Louvre, dans les livres ou sur des boîtes de chocolats ; la peinture de sous-bois avec biche observée les yeux dans le vague des années, au mur du salon de votre enfance. Mesurez l’impossible souvenir, l’irrécupérable netteté : il ne reste qu’une sommation de fragments imprécis et gauchement ajustés, aboutés par des flous pour faire une image floue. 
Souvenez-vous des images horrifiques des tragédies, non pas celles du passé lointain mais celles des drames qui furent filmés, photographiés, diffusés à l’envi, dont nos yeux se sont repus sur les écrans et dans les magazines. Les tours jumelles en effondrement, les frappes chirurgicales, les plans obscènes de prisons clandestines, les corps alignés dans les excavations, les cieux rayés des trajectoires de projectiles mortels, les tsunamis et les corruptions brutales du monde : ces images que vous avez vues, mille fois et davantage, que vous ne pouvez représenter sinon dans l’imprécision d’un flou porté par les focales multiples, les couleurs incertaines, l’impossible mise au point du souvenir, l’impossible ligne claire. 
Nous pensions le monde net, nous conservions nos images propres mais elles sont lessivées. Nous avions des scènes et des informations aux contours aiguisés mais nous ne parvenons pas à les nettoyer du flou, nous sommes flous, notre corps est flou, ce corps dont nous ne pouvons voir la tête qui le scrute, point aveugle semblable au minuscule disque optique du fond de l’œil, zone sans photorécepteurs, tache troublée du champ visuel. Le monde est flou, quoi que nous fassions pour en dessiner les contours. Ses étendues, ses durées, s’étiolent en fond diffus de mises et de démises au point, somme d’ajustements aléatoires de jumelles à l’illusoire netteté, passant au flou le beau comme les détails horribles. Le flou est la folie du réel, son dérangement, son extravagance optique, son errance sous les lignes de flottaison, disque d’accrétion auréolant la beauté ou enlaçant avec commisération les innommables et irreprésentables abominations.
Extrait du texte "Extravagance du monde, folie du réel", dans Dans le flou, une autre vision de l'art de 1945 à nos jours, dir. Claire Bernardi, Emilia Philippot, Musée de l'Orangerie, Atelier EXB, 2025.

Claire Chesnier - Vincent Dulom

Mark Rothko - Claire Chesnier

Eva Nielsen

Tania Mouraud

Tania Mouraud

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