
Commissariat, conception graphique du livre, auteur du texte principal
La première image d’Agnès Geoffray qu’il m’ait été donné de voir appartient à la série Incidental Gestures ("gestes fortuits"), composée de seize photographies noir et blanc. Cette première image, intitulée Libération I, n’est pourtant pas une image d’Agnès Geoffray mais une image récupérée, image ready made utilisée telle quelle, sans qu’elle n’ait apparemment été modifiée. C’est une image dont l’auteur est inconnu, à l’épouvantable force évocatrice : une photographie prise à la Libération lors de la terrible période de chasse aux sorcières et d’épuration de l’été 1944 où des milliers de femmes taxées de collaboration durant l’Occupation sont traînées dans les rues de France sous les huées, les crachats et les coups. La photographie montre une foule menant une femme tondue et nue dans les rues de Paris. Deux hommes lui serrent fermement les poignets et affichent des visages presque hilares alors qu’un troisième homme lui enserre le bras. Le visage de la femme est tourné vers l’arrière, son regard n’est dirigé vers aucun des autres protagonistes, comme si ses yeux ne pouvaient plus désormais se projeter vers aucun autre regard, se fixant, éberlués et vides, dans une divagation éternelle, sorte de gestus brechtien terrifiant où le regard et la posture du corps finissent par se détacher de tout contexte. Je ne peux m’empêcher de voir dans cette image son exact contraire et de voir là une femme déportée, jetant derrière elle un regard écarquillé de peur et de perte à l’instant même où son être tout entier bascule vers l’évanouissement de son humanité. Je ne peux m’empêcher d’y voir les femmes nues, emmenées vers la mort, telles ces femmes que l’on voit photographiées clandestinement par les membres du Sonderkommando d’Auschwitz-Birkenau en août 1944, au moment même où, en France, les femmes tondues sont traînées dans les rues. C’est sans doute là que se loge l’un des aspects prégnants de l’œuvre d’Agnès Geoffray, dans la manière dont les images se retournent contre elles-mêmes, activent la mémoire de leurs spectateurs, établissent des correspondances inattendues et instinctives, délivrent
leur puissance fictionnelle fortuite.
leur puissance fictionnelle fortuite.
Extrait du texte de Jean-Charles Vergne, dans Agnès Geoffray, Jean-Charles Vergne, Sally Bonn, FRAC Auvergne, 2020.
crédit photographique : Ludovic Combe


















