Commissariat, conception graphique du livre, auteur l'entretien "Tête à tête"
Jean-Charles Vergne :     Vous êtes un de ces grands portraitistes – bien que vous ne vous limitiez pas à ce genre – et votre œuvre aurait sans doute pu satisfaire chez Roland Barthes ce désir d’une photographie capable d’offrir au portrait, comme dans la peinture des grands maîtres, la subtilité d’une image qui ne soit pas celle parfois un peu figée ou grimaçante du sujet en pose mais dont la surface soit à même d’irradier les plus petites parcelles d’humanité du visage révélé. Il a souvent été noté que vos œuvres engagent l’analogie avec celles des peintres espagnols du passé – Zurbarán, Velasquez, Murillo, Ribera, etc. – et j’aimerais donc aborder la question de la forme que vous adoptez. Vous optez pour cet étalonnage lumineux qui tend effectivement à rapprocher vos photographies d’une certaine peinture classique. Cela m’évoque Michel Houellebecq qui déclare à propos de ses poésies écrites en alexandrins : "Ne vous sentez pas obligé d’inventer une forme neuve. Les formes neuves sont rares. Une par siècle, c’est déjà bien. [...] La plupart des formes neuves se produisent non pas en partant de zéro, mais par lente dérivation à partir d’une forme antérieure." Ce mouvement vers le passé impulsé par vos choix formels n’a-t-il pas, paradoxalement, pour principale vertu de transformer immédiatement le présent en passé, de leur offrir une inactualité salutaire ?
Pierre Gonnord :     Je n’ai aucune honte à le dire, je suis un photographe absolument classique. Je me sens comme un photographe ambulant avec mon matériel dans le coffre, comme les vendeurs d’élixirs aux États-Unis pendant la conquête de l’Ouest. L’atemporel nie toute idée du passé, du présent et du futur. Cette abolition absolue du temps a pour vocation de considérer l’humain dans ce qu’il a de générique. Les visages d’aujourd’hui ne ressemblent-ils pas vraisemblablement à ceux d’il y a 400, 1000 ou 5000 ans ? Il est probable que le premier homme prenant conscience de sa condition de mortel ait parcouru du doigt le contour de son ombre sur la paroi d’une grotte, inventant ainsi le portrait comme une catharsis pour échapper, dans un geste de propagande, à son destin et rêver d’éternité.
Extrait de l'entretien avec Pierre Gonnord, dans Pierre Gonnord, Jean-Charles Vergne, FRAC Auvergne, 2017.
Crédits photographiques : Ludovic Combe

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