
Commissariat et texte
L’exposition s’ouvre sur Planche 2 – A.W. qui représente sur un fond noir une juxtaposition d’images à peine lisibles, laissant deviner les esquisses de corps, de formes géométriques circulaires évoquant tour à tour des sphères, des globes terrestres ou des parements d’ornementation. La peinture est traitée en valeurs de gris, à l’exception de quelques blancs teintés de jaune, de bistres, de verdâtres. La surface est maculée par une tache multicolore et par un épanchement chromatique qui ronge le bord droit du tableau. Ce détail importe car il renseigne sur l’origine photographique de cette peinture : il s’agit de la reproduction d’une image ayant subi une détérioration due à l’eau ou à l’humidité. Un indice est donné par les initiales "A.W." du titre de l’œuvre : ce sont celles du célèbre historien iconologue Aby Warburg et Planche 2 – A.W. est inspirée de son Atlas Mnémosyne, immense work in progress iconographique qu’il conçut entre 1927 et 1929 dans un geste décisif de refonte des principes de la discipline de l’Histoire. Aby Warburg cherchait à retrouver les liens qui semblent secrètement unir des époques et des cultures éloignées à partir de l’examen de leurs images. Ses fameuses planches, qui illustrèrent d’abord ses conférences avant de devenir des formes autonomes exposées dans l’immense bibliothèque de plus de 60.000 ouvrages qu’il constitua, sont les témoignages directs de son concept d’iconologie de l’intervalle ("Ikonologie der Zwischen Raums") : avec Aby Warburg, les images peuvent désormais être comprises différemment, à partir de leurs analogies, de leurs frictions, de leurs connections inattendues. Comme l’énonce Jean-Luc Godard : "il n’y a pas d’image, il n’y a que des images. Et il y a une certaine forme d’assemblage des images [...] Il n’y a pas d’image, il n’y a que des rapports d’images." Néanmoins, le cœur de l’entreprise menée par Aby Warburg ne se loge pas tant dans un archivage d’images interconnectées que dans le regard inédit qu’il porte sur les gestes que ces images donnent à voir. Son projet ne consistait finalement pas à étudier les images mais davantage à examiner de quelle manière tel ou tel type de geste parcourait le temps, d’époque en époque, de culture en culture, soulignant ainsi l’existence d’une gestuelle fondamentale à la civilisation humaine qui pouvait ainsi devenir le prisme particulier d’un regard sur l’Histoire de l’humanité.
Planche 2 – A.W. ouvre et referme l’exposition de Mireille Blanc. Le choix de cette peinture iconique au sein de son œuvre donne une clé essentielle pour appréhender l’ensemble de sa pratique. Planche 2 – A.W. n’est pas la représentation de la planche de l’Atlas Mnémosyne mais la représentation d’une photographie de cette planche elle-même constituée par un assemblage de photographies. Les images disparates qui composent la planche de Mnémosyne se trouvent ainsi unifiées en une image unique. C’est là une belle synthèse du risque d’anachronisme auquel nous sommes soumis lorsque nous regardons vers le passé, toujours perçu du point de vue d’un présent opérant une diffraction optique doublée d’un trouble. Le symptôme est là, dans la perte progressive de définition des images au fil de leurs transpositions pour que ne demeure au final que des gestes de peinture habités par le retour fantomatique de tous les gestes picturaux de l’histoire de l’art. Placée à l’entrée et à la sortie de l’exposition, Planche 2 – A.W. ouvre et referme une arborescence de tableaux aux motifs interconnectés, révélant leur gestes selon un processus iconologique semblable à celui d’Aby Warburg pour la composition de ses planches. Planche 2 – A.W. dialogue avec le geste enfantin d’écriture scolaire de Refrain dans une relation à la ritournelle, à la répétition des mots, des gestes et des images. Finalement, les images sont sommées de battre en retraite pour laisser le champ libre à la peinture. Far from the pictures.
Extrait du texte "Far From the Pictures"

Planche 2 – A.W. / Refrain





