Commissaire, auteur du livre.

La rencontre avec l’œuvre de Katharina Grosse s’effectue toujours en premier lieu par un sentiment de chromatisme intense. Les couleurs acryliques industrielles qu’elle utilise, parfois à la limite de la fluorescence, créent des surfaces picturales ambiguës, simultanément marquées par un esthétisme des plus séduisants et par la contradiction systématique de cette fascination de la couleur dans l’emploi d’un réglage colorimétrique strident, dissonant, cherchant sans cesse à s’approcher d’un basculement entre une forme ornementale harmonieuse et un total déséquilibre de la composition.
L’œuvre de Katharina Grosse est complexe et ses sources sont marquées par une forte hétérogénéité. Elle pousse « au milieu des choses », traversée par de multiples intensités, parfois contradictoires. Elle se forme dans l’incidence de lignes et de flux composites. Elle provoque le sampling de l’expressionnisme allemand et du pouvoir décoratif de la peinture murale de la Renaissance ; elle mixe la technique de la pulvérisation, déjà utilisée par Jules Olitski, Dan Christensen ou Hans Hartung et Martin Barré dans les années 60, à celle de la projection d’images en négatif sur les parois des cavernes ; elle mixe la beauté urticante des vapeurs colorées de Turner aux teintes des moisissures les plus voraces. Elle convoque les références à la grande Histoire de la peinture, à l’argot pictural du graff ainsi qu’à une forme excessive de Bad Painting. Elle magnifie les lieux tout en leur imposant la dévastation ; elle pousse « au milieu » de l’art et de l’architecture, au milieu de la peinture et d’une certaine forme de politique. Quoi qu’il en soit, Katharina Grosse prend moins ses sources dans une histoire américaine de la peinture que dans une tradition européenne de la couleur et de sa puissance explosive au sein de laquelle Delacroix occupe une place de choix revendiquée par l’artiste allemande. Ce qui habite la peinture de Katharina Grosse relève d’une vitalité impulsive de la couleur, d’une matière ardente qui trouve sa violence dans des agencements de couleurs contre-nature qui créent la surface.
Extrait de "Une beauté crasse", dans Katharina Grosse, Jean-Charles Vergne, FRAC Auvergne, Éditions Walther König, 2008.
Crédits photographiques : Régis Nardoux

atelier de Raoul de Keyser - 2008

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